Historique

Légende de la Tripe Fertoise

II y a longtemps, on racontait qu'un ménage de bucherons fut chassé de sa forêt par les vilains loups.

Ils échouèrent dans le bas de notre bonne ville ou, avec un peu de moquerie, un boucher leur donna les " Tripailles " d'une bête qu'il venait de tuer.

Césarine dit à son bonhomme Zidor : On mange bien la " Piau " des saucisses et du boudin, va laver ça au ruisseau, mais surtout " frotte ben ".

Puis, tout cela se retrouva dans la marmite avec beaucoup d'autres choses, on fit une grande part pour le bon beurre et, en bons Normands, on n'oublia pas un petit brin de " goutte ".

Au départ, ce n’était déjà « pas mauvais », puis, avec de plus en plus d'expérience, cela devint aussi de plus en plus excellent.

Du bon pain, du bon « bère », on eut des clients. Le restaurant venait de naitre.

Mais les gros mangeurs ne laissaient pas grand'chose aux autres, et on avait qu'un seul prix !

Zidor en fit son affaire et trouva la solution : on " fra " des paquets.

Aussi, le lendemain, chacun trouva dans son assiette sa juste pitance bien embrochée par un bout de bois bien choisi et bien effilé.

" Au juste, " queque " tu nous fais manger là ? " dit un marchand de passage.
" ça, mon gars, c'est des trips en brochettes à la mode de La Ferté-Macé " dit fièrement Zidor.

En effet, c'est à ce modeste couple que l'on doit notre histoire : aussi, signons pour eux.

Zidor et Césarine
G.L 

Les tripes en brochettes et l'Hotel du GRAND TURC

Poème de Wilfrid Challemel

Les Tripes de La Ferté-Macé

-1-

On a mis la nappe blanche

Du dimanche

Et midi vient de sonner

Vrai, notre cuisine embaume

Quel arome

A table pour déjeuner

-2-

Dépêche servante accorte

Vite apporte

Le plat de tous souhaité

Il vient, salut ma narine

Vous divine

Oh ! tripes de La Ferté

-3-

Oh ! quel parfum délectable

Notre table

Exhales en ce moment

Où la main qui les remue

Toute émue

Déroule un paquet fumant

-4-

Vivent les Fertoises Tripes !

Nos principes

En font un mets sans égal

Suivant notre art, préparées

Bien poivrées

Divin en est le régal

-5-

En vidant leur pinte ronde

Et profonde

Nos aïeux sans nul souci

Estimant que cet usage

Etait sage

Jadis tripaillaient aussi

-6-

Mais que faire dans l'escrime

De la rime

S'il craint trop de s'enferrer

Le fertois garde en partage

L'avantage

De vous faire bien digérer

-7-

Les tripes ailleurs connues

Sont menues

On les aime à La Ferté

En gentils petits paquets

Affublées

D'une billette au côté

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Extrait des poèmes de

Wilfrid CHALLEMEL

Poète historien fertois

(1846-1916)

Un extrait de Ia revue LE GRAND TOURISME de Paris

La Ferté-Macé,
Bagnoles de I 'Orne et la Normandie montagneuse,

rédigé par le Dr P.R. JOLY (mars 1923)

La Ferté-Macé dont Bagnoles dépendit en partie jusqu'en 1913, date de la création de la commune de Bagnoles, est une petite ville industrielle du plus gracieux effet vue de loin, surtout quand on la contourne en chemin de fer. 

Elle est sans grand intérêt ni pour le touriste ni pour l'archéologue.

Par contre les gourmets y trouvent matière à déguster. Les paquets de tripes de la Ferté-Macé constituent le mets national de cette ville. 

Elles sont les rivales souvent victorieuses des tripes à la mode de Caen. 

Je leur dois de bons souvenirs d'enfance. Quand potache, je passais mes vacances chez mon oncle à la Ferté-Macé, celui-ci n’emmenait le dimanche matin, sacrifier aux traditions gastronomiques du cru. 

Vers huit heures et demie ou neuf heures du matin, à l’heure de la sortie de la messe, nous allions le plus souvent dans une vielle auberge sans apparence de l'étroite rue St Denis

Alors elle avait la vogue. 

Il faisait sombre en entrant, mais la salle de l'auberge brillait de propreté et de gaité. 

Seule la patronne, l’artiste en tripes, conservait derrière ses grands pots ventrus en terre jaunâtre où mijotaient sur le fourneau, l’objet de toutes les convoitises, la dignité grave et consciente de sa haute mission d'un prêtre officiant sur l'autel. 

Toutes les autorités de la ville se trouvaient là : le maire et son conseil, le tribunal et la fabrique, les commerçants, les industriels. 

Toutes les opinions, tous les intérêts se calmaient et s’apaisaient sous le beurre ou nageaient les tripes comme les vagues de la mer en furie sous l'huile qu'à l'avant du navire file goutte à goutte le subtil marin. 

Rapide, au milieu du vacarme et des rires une soubrette rotonde échappée aux pinceaux de Léandre, court de table en table. 

Sur la nappe blanche elle dépose l’assiette fumante et embaumante ou se dresse dans la sauce fauve que pique, ainsi que deux fleurs de grenade, deux rutilantes carottes, le paquet de tripes dorées.

Roulées comme torsade d'un chignon de belle blonde, elles sont maintenues en guise d'épingles par une broche de bois.

Les yeux des convives s'arrondissent et brillent, les bouches sont en cœur ; il n‘est pas jusqu'aux poutres saillantes du plafond bas qui ne semblent s'allonger vers les tables ainsi que de grandes langues gourmandes. 

L‘air s'obscurcit, de plus en plus lourd de vapeurs parfumées et des spirales de fumée tabagique.

On se croirait transporté quelques siècles en arrière, dans les Flandres des Théniers, des Breughel, si le cidre pur jus, le « Pommé » qui rougeoie dans les carafes transparentes, ou pétille dans les verres, ne rappelait que si l'origine lointaine des convives est le Nord, c'est ici, du sol normand que proviennent les produits.